espace kugler - espace d'exposition
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Damien Guggenheim

Vernissage le vendredi 20 février 2009 à 19h

21h, Pierre Caron au chant et à la guitare électrique du groupe "In Bear Suit".

Exposition du samedi 21 février 2009 au samedi 15 mars 2009, dès 17h : apéro finissage

Ouvert les jeudis - vendredis et samedis de 14h à 17h et sur rendez-vous : contact@espacekugler.ch

Damien Guggenheim est né en 1981 à Nyon, diplômé de l’École Supérieure des Beaux-arts de Genève en 2004, il vit et travaille actuellement à Paris. Ses propositions artistiques ne cherchent pas à se soustraire aux controverses qui agitent les critiques même si elles préfèrent se mêler à celles qui s’établissent entre les œuvres et les débordent. Tableau, tablette, tondo, maquette, installation, sont autant de dispositifs (aux antipodes des médias ou des supports) qui indexent l’objet de la représentation, lequel se donne à voir dans un jeu d’ouverture et de fermeture.

La Terrasse de Turner
Installation, peinture acrylique sur toile (2,6 X1,6m) et dalles, 2008

Il n’y a qu’un pas, qui mène à franchir le seuil d’un abri sur le parterre inhabitable d’une terrasse exposée à toutes les intempéries. Seulement cette terrasse exposée est aussi – est déjà – une table rase, qui neutralise le péril qui s’annonce dans le parcours d’une tornade aussi menaçante qu’imprévisible. Le désert croît disait Nietzsche. Cette tornade je l’ai d’abord hallucinée à l’horizon des peintures de Turner ; je l’ai vu surgir de ses ciels vides, de sa peinture construite à partir d’un vide qui l’informe. D’où l’importance que prennent les cadres, les seuils, les parergons, qui ouvrent l’espace où s’agite la violence de sa peinture, qui pour certains aura eu le privilège historique d’accéder la première à une forme d’abstraction. Je pense particulièrement à Petworth Park (1828) où l’encadrement est dû à une longue terrasse qui borde le champ de la représentation et qui donne sur un parc dans lequel on aperçoit quelques chiens de chasse ainsi que des animaux sauvages qui profitent d’une accalmie incertaine. Un fauteuil est flanqué au coin. Le tableau est près de se décomposer. J’ajouterai simplement ceci que c’est par un revers, qui peut être aussi bien un tournant, que la peinture (et sa théorie des nuages) se soustraie au sens.

Galerie du 12 Septembre 1940 2008 Peinture acrylique sur paravent 7 x (18 x 11 cm)


Là-bas 2008 Armoire et tirages 10 x 8 x 4 cm

Elias-Canetti-Strasse 2009 Bois 34 x 10 x 10 cm

On a beaucoup insisté sur l’inachèvement des œuvres de l’art moderne ou « post-moderne » qui ont fait leur la définition de l’esquisse (macchietta). Mais quel fil pourrait-on tirer pour passer d’une œuvre à l’autre sans enfoncer des portes déjà ouvertes ? On a le plus souvent tendance à négliger, dans ce genre d’exercice fastidieux, le fil jugé trop filandreux, tortueux, voire même tordus des propos tenus par les artistes eux-mêmes (que les commentaires ne rebutent pas), quand ils ne se confondent pas en explications, confinés à la demande qui leur est faite de répondre aux questions qu’on leur pose, là même où l’œuvre se propose comme une réponse qui les devance toutes. Il y a donc maldonne dès le départ, qui loge ceux qui se disent artistes ou critiques (professionnels ou non) à la même enseigne, maldonne qui voue les uns et les autres à une semblable propension à l’extrapolation. Alors quoi ? Il faudrait s’en tenir à une stricte description idoine ? Mais que faire de celles qui semblent faites pour parer à tout commentaire, laissant entendre qu’il n’y a rien de plus à ajouter qui puisse aller au-delà d’elles? Ne sont-elles pas là pour signifier aux amateurs, aux curieux, que leur demande de savoir est irrecevable, qu’ils ont frappé, tout simplement, à la mauvaise porte ? Mais qui a prétendu que les œuvres recelaient un savoir, qu’elles avaient un message à porter, une réalité à restituer, une thèse à défendre, ou pire encore, une vision du monde à partager ?

Du reste, on ne prête pas aisément aux artistes un savoir sur ce qu’ils font, et quoiqu’on puisse en espérer, on n’ira pas jusqu’à leur demander des gages. À tout le moins peut-on avancer, sans prendre trop de risques, que si le savoir est bel et bien engagé dans l’élaboration artistique, ce n’est certainement pas au titre insuffisant d’un savoir-faire, ni au titre par trop édifiant d’un concept auprès duquel l’œuvre serait déléguée ou reléguée. Ne trouverait-on pas trace d’un savoir de l’art, s’il y en a, dans les titres ? Dans la veine de ceux, par exemple, qui se veulent aussi éloquents qu’un traité, affublés de la préposition « de », utilisée à la fois comme article partitif et déterminatif. Comme la marque soulignée d’une citation qui vient de et retourne à, et qui suggère (si ce n’est pas là simplement de la poudre aux yeux) que les œuvres, non contentes d’avoir à montrer, en tendant l’index, en orientant le regard, ont quelque chose à démontrer : démonstration sous-jacente ou s’ajoutant au geste même de montrer, le prenant pour ainsi dire en porte-à-faux. Ce retour (ce revers, cet écho, cette division) est celui, mentionné, d’une citation, qui s’évertue, comme de juste, à épingler un savoir, mais qui aussi et surtout emporte avec elle une espèce d’enrôlement.

C’est bien que l’inachèvement est au départ, qui permet le déplacement du tableau à l’installation, qui instaure le jeu des ouvertures et des fermetures qu'ordonnancent des panneaux amovibles (qui tantôt se rabattent, qui tantôt coulissent), qui cause leur tropisme réglé que l’exposition manque à rendre compte intégralement. De sorte qu’on ne peut exclure que le travail artistique ne puisse desservir le savoir, préférant à sa prétention universelle la singularité d’une expérience qui ne s’exemplifie pas, et plus grave encore, qu’il ne puisse constituer un ne pas savoir, borné, braqué, comme une sorte de bouclier bricolé en rempart à la chose médusante – cela qu’indexe l’œuvre, cependant qu’elle se retourne en démonstration, se détournant dans une fuite du sens. On s’en tiendra alors sommairement à ceci : ce que l’activité artistique, entre celle du jeu et celle du travail, remet en cause, de façon délibérée et soutenue, est la séparation du savoir théorique et pratique, et aussi bien ce que l’un avec l’autre ne parvient à articuler. Serait-ce alors l’échec du jeu, s’abolissant dans l’œuvre ? La relance du travail s’acharnant contre la finition de l’œuvre? C’est surtout que le jeu, pour commencer, ne peut se passer d’une fin annoncée, mais il ne peut cependant se poursuivre que si cette fin se trouve sans cesse démise, suspendue, ajournée. Ainsi, même si l’œuvre trouve un achèvement, inévitablement, et distinctement, le travail de son côté se termine, et le jeu cesse, ce qui ne revient pas au même.

Damien Guggenheim

PHOTOS DE L'EXPOSITION

Pierre Caron